Tristan Galand tourne « L’Histoire de Souleymane » avec l’ALEXA Mini

Tristan Galand tourne « L’Histoire de Souleymane » avec l’ALEXA Mini

Le directeur de la photographie Tristan Galand revient sur la course effrénée derrière le tournage du film de Boris Lojkine, « L’Histoire de Souleymane ».

Apr. 25, 2025

Le directeur de la photographie Tristan Galand débute en tant qu’électro aux côtés de grands noms comme Christophe Beaucarne AFC ou Manu Dacosse SBC, avant de passer au cadre puis de devenir chef opérateur. En 2021, il est récompensé par le prix du meilleur documentaire à Camerimage pour « Ma Voix t’accompagnera » de Bruno Tracq. En 2024 il signe l’image de « L’Histoire de Souleymane » de Boris Lojkine, primé à Cannes dans la section Un Certain Regard, avant d’être nommé dans huit catégories aux César 2025, dont celle de la Meilleure Photographie.

Dans cette interview, Tristan Galand nous dévoile sa démarche pour construire une image dite « ancrée dans le réel » avec l’ALEXA Mini sur « L’Histoire de Souleymane ».

Abou Sangaré qui incarne le personnage de Souleymane remporte le César du meilleur espoir masculin aux César 2025

Abou Sangaré qui incarne le personnage de Souleymane remporte le César du meilleur espoir masculin aux César 2025

Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet ?

J’ai été contacté directement par le réalisateur, Boris Lojkine, qui cherchait une personne ayant une double expérience en fiction et en documentaire. On s’est rencontrés et le courant est bien passé - on était alignés sur les enjeux de narration et le dispositif de tournage léger que cela impliquait. Peu de temps après, il m’a proposé de rejoindre l’équipe, ce que j’ai accepté avec grand plaisir.

Les intérieurs ont été traités avec une lumière plus douce et chaleureuse, pour accentuer l’écart de confort entre les intérieurs et les extérieurs

Les intérieurs ont été traités avec une lumière plus douce et chaleureuse, pour accentuer l’écart de confort entre les intérieurs et les extérieurs

Le film suit le personnage de Souleymane dans son quotidien, au style quasi documentaire. Était-ce l'effet recherché ?

Dès nos premières discussions, Boris avait la conviction qu’il fallait adapter le dispositif cinéma au réel et non l’inverse pour donner de l’authenticité au film et laisser la vie rentrer dans le cadre. C’est pour cette raison qu’il voulait une équipe réduite au minimum, en évoquant même la possibilité que je tourne certaines scènes seul à l’image pour pouvoir capter toute l’énergie de la ville. Même si le film est une vraie fiction, on l’associe souvent à une approche documentaire pour son ancrage dans le réel et sa proximité avec le cinéma direct.

Plusieurs semaines avant le tournage, on a fait deux jours d’essais en plein centre de Paris avec Abou Sangaré, Boris et une personne par département réalisation, son et image. Entre les voitures, les passants et la pluie, on s’est vite rendu compte des avantages et des inconvénients de tourner en équipe ultra réduite. On était quasi invisible mais de mon côté je perdais du temps à l’image sur les changements de config et au son, le fait d’être seul empêchait Marc-Olivier Brullé de capter toutes les subtilités sonores de la ville. Il devait se concentrer sur la captation des voix, au détriment d’une deuxième prise de son plus spatiale. Après avoir échangé sur les essais et pour rester dans une dynamique d’équilibre entre son et image, Marco a décidé de travailler avec Rodrigo Diaz à la perche et moi avec Haruyo Yokota comme assistante caméra sur la quasi-totalité du film.

Deux configurations à vélo ont été mises en place pour suivre Sangaré dans les rues de Paris

Deux configurations à vélo ont été mises en place pour suivre Sangaré dans les rues de Paris

« J’ai choisi l’ALEXA Mini car c’est une caméra légère, polyvalente et que je connais suffisamment pour l’oublier. »

Tristan Galand

Directeur de la photographie

Le personnage de Souleymane est livreur, une bonne partie des scènes sont donc à vélo, comment avez-vous procédé ?

Le film a entièrement été tourné à l’épaule mais il fallait trouver une solution pour suivre Sangaré à vélo dans le chaos de la ville. En voiture, on serait restés bloqués dès le premier carrefour, à moto nous n’aurions pas eu accès aux pistes cyclables, il ne nous restait plus que le vélo électrique pour se faufiler dans la circulation. Avec Jonathan Ly, le machiniste du film, nous avons testé différentes options et on a fini par choisir un vélo cargo bi-porteur avec une suspension sur la roue avant pour amortir légèrement les chocs. Jonathan conduisait le vélo et je m’installais dans le bac avant pour cadrer les plans de profil et de dos. Pour les plans de face, on a utilisé un vélo long-tail avec un siège arrière retourné sur lequel je m’installais pour cadrer Sangaré. Au niveau du son, j’étais équipé de petits micros sous mon bonnet pour capturer une ambiance stéréo de la ville synchronisée avec la caméra. Ce son était transmis en HF au « vélo son » qui suivait à quelques mètres, conduit par Boris avec Marco derrière à la modulation. Ce petit convoi de cyclistes se déplaçait en circulation réelle et en essayant de suivre Sangaré qui zigzaguait entre les taxis et les bus. Seule la scène de l’accident, réalisée par un cascadeur, a nécessité de bloquer la rue.

La majorité des scènes ont été tournées en plan-séquence permettant de découvrir l’action en même temps que le personnage de Souleymane

La majorité des scènes ont été tournées en plan-séquence permettant de découvrir l’action en même temps que le personnage de Souleymane

L’image est plutôt contrastée, froide. Pouvez-vous nous dire comment vous avez abordé ce projet sur le plan visuel ?

L’un des enjeux importants du film était la sensation d’immersion dans le Paris que traverse Souleymane. C’est donc la ville et les lieux qui ont été notre première source d’inspiration. Je viens de Bruxelles et j’ai découvert un coin de Paris très cinégénique que je connaissais moins, aux alentours de la ligne 2. Boris et moi y avons passé des heures à discuter du film et à imaginer comment les scènes pourraient se raconter dans les différents décors. C’est un quartier avec beaucoup de contrastes et de couleurs dans les lumières. On y trouve du sodium orange, des néons froids, des enseignes lumineuses multicolores et dès qu’il pleut, tout se met à briller et à se mélanger. C’est cette texture qu’on a voulu garder pour le film, cette sensation d’humidité, de froideur et de chaos dans la lumière. Les intérieurs des clients sont traités avec une lumière plus douce et chaleureuse pour accentuer l’écart de confort entre le dedans et le dehors. En termes de cadre, Boris voulait que la caméra soit dynamique et découvre ce qui se passe en même temps que Souleymane. On a opté pour une caméra à l’épaule et une focale courte pour accentuer la connexion avec Souleymane et ramener le point de vue au plus proche de lui.

Certains lieux de tournage ont été choisis pour leur lumière préexistante

Certains lieux de tournage ont été choisis pour leur lumière préexistante

« Le choix de la caméra et des optiques m’a vraiment permis de travailler avec la lumière de la ville dans toutes les conditions. »

Tristan Galand

Directeur de la photographie

Quel combo caméra-optiques avez-vous choisi pour tourner « L’Histoire de Souleymane » ?

Nous avons tourné avec l’ALEXA Mini en Opengate ARRIRAW 3.4K avec des Zeiss Super Speed MK III, essentiellement le 25mm et le 35mm. J’ai choisi l’ALEXA Mini car c’est une caméra légère, polyvalente et que je connais suffisamment pour l’oublier. J’ai opté pour une config très simple, en ne gardant que le strict minimum : il ne restait que le corps caméra, le viseur, les poignées, une petite Matte Box, un câble qui allait dans un sac à dos avec la batterie déportée et l’émetteur. Je la couvrais souvent avec une petite housse de pluie pour sac à dos pour être encore plus discret.

« L’idée, était de sculpter la lumière en éteignant des sources plutôt qu’en en allumant. » explique le directeur de la photo

« L’idée, était de sculpter la lumière en éteignant des sources plutôt qu’en en allumant. » explique le directeur de la photo

Pourquoi avoir choisi de tourner « L’Histoire de Souleymane » en 1.5 ?

Au début, Boris avait imaginé tourner le film en 1.85, et puis on a remarqué en prépa que le format 1.5 recentrait l’image sur Souleymane mais aussi que ça m’obligeait à cadrer de manière plus dynamique pour garder les comédiens dans le cadre. C’est cet ajout de nervosité qui a convaincu Boris de choisir ce format. On a tourné une grande majorité des scènes en plan-séquence de manière assez instinctive pour découvrir l’action en même temps que Souleymane. On savait que ces plans séquences seraient souvent découpés au montage donc j’essayais de faire varier les valeurs et les axes à l’intérieur du plan ou entre les prises.

« L’Histoire de Souleymane » a entièrement été tourné à l’épaule

« L’Histoire de Souleymane » a entièrement été tourné à l’épaule

ll y a beaucoup de scènes de nuit en extérieur, comment avez-vous géré cela au niveau de la lumière ?

Le choix de la caméra et des optiques m’a vraiment permis de travailler avec la lumière de la ville dans toutes les conditions. Vu la radicalité du dispositif de tournage et l’absence d’équipe électro sur ces décors, on a choisi les lieux en fonction de la lumière préexistante. L’idée était de sculpter la lumière en éteignant des sources plutôt qu’en en allumant. En cadrant la lumière plutôt qu’en éclairant le cadre. J’avais un petit sac à dos avec de quoi éteindre un lampadaire ou des spots de magasin pour créer du contraste. J’avais aussi du tissu noir et blanc et quelques sources LED sur batterie que je cachais dans le décor sous forme de praticable quand c’était nécessaire.

Tristan Galand s’est servi d’une courte focale pour accentuer la connexion entre le spectateur et Souleymane

Tristan Galand s’est servi d’une courte focale pour accentuer la connexion entre le spectateur et Souleymane

Comment avez-vous travaillé au niveau de l’étalonnage ?

Les essais qu’on a tourné en prépa sur les décors avec la bonne caméra, les bonnes optiques et Sangaré ont permis à l’étalonneuse Marine Surblé de créer une LUT unique pour le film. Nous sommes partis sur un look relativement contrasté, saturé pour certaines teintes et désaturé pour d’autres. On a aussi relevé un peu les basses lumières pour gagner du détail et de la brillance sur les visages. Marine a également participé aux discussions sur le choix des costumes pour que le travail des couleurs reste cohérent de la prépa à la post-production. Grâce à cette LUT, le montage a pu se faire avec un look proche de ce qu’on avait imaginé pour le film et les dix jours d’étalonnage ont permis de prolonger et d’affiner les intentions.

Abou Sangaré a intégré des éléments de son histoire personnelle dans la scène finale à l’OFPRA

Abou Sangaré a intégré des éléments de son histoire personnelle dans la scène finale à l’OFPRA

« L’Histoire de Souleymane » est un film hors norme à plein de niveau, vous attendiez-vous à ce succès ?

Non, pas du tout. On savait que Boris avait trouvé le bon ton pour le film et que les actrices et les acteurs étaient incroyablement justes mais on ne se doutait pas qu’un petit film artisanal comme celui-là aurait autant de visibilité. Certaines scènes nous ont beaucoup émus au tournage, notamment la scène de l’interview entre Sangaré et Nina Meurisse, tournée sur deux jours dans les bureaux de l’OFPRA. Sangaré avait accepté d’intégrer au scénario des éléments de son histoire personnelle mais on n’avait aucune idée d’où ça allait l’emmener émotionnellement au moment du tournage. On a laissé tourner la caméra et il y a eu cette prise, qui est dans le film d’ailleurs, qui a laissé un long silence sur le plateau. On ne sait jamais à l’avance la vie qu’aura un film et on a parfaitement conscience qu’un parcours comme celui-là est assez rare donc on en profite, tout en espérant pouvoir se retrouver toutes et tous sur un autre projet.