Parmi les rares cheffes électriciennes en France, Sophie Lelou travaille à la lumière depuis maintenant 23 ans. Passée cheffe électro en 2011, elle a à son palmarès des films très remarqués comme « Victoria », « Jusqu'à la garde », « Antoinette dans les Cévennes », « Un couteau dans le cœur ». Dans son travail sur les plateaux, elle utilise au quotidien les outils ARRI Lighting: Serie-M, SkyPanel, LED Serie-L.
Les premières années : Comment Sophie Lelou est devenue cheffe électro
Passionnée de cinéma depuis l’adolescence, Sophie Lelou fait logiquement un BTS Audiovisuel où elle sera initiée au cadre et à la lumière. Après différents stages sur les plateaux, elle se rend compte de son attirance pour le travail de la lumière. « En sortant de formation, j’ai contacté le directeur de la photographie Thierry Arbogast qui m’a renvoyé vers son chef électricien Claude Hirsch. J’ai ainsi pu travailler sur ‘Les Rivières Pourpres’, puis j’ai enchaîné avec ‘Le fabuleux destin d’Amélie Poulain’. En parallèle, je faisais des renforts comme assistante caméra. Je n’apprenais pas la même chose, mais ce sont deux métiers complémentaires. Beaucoup de gens me disaient que je ne pouvais pas faire les deux, qu’il fallait choisir, mais moi, j’aimais naviguer entre l’équipe électro et l’équipe caméra. J’ai fait ça pendant des années. Jusqu’à ce que le directeur de la photographie Bertrand Mouly me propose d’être sa cheffe électricienne sur le long métrage ‘Tu seras un homme’ de Benoît Cohen. J’étais très curieuse d’occuper ce poste pour la première fois. Au final, tout s’est très bien passé. Tout le monde a été très bienveillant avec moi, que ce soit sur le plateau ou chez les loueurs. Je me suis dit : ‘Je peux le faire’. Auparavant, je m’autocensurais peut-être inconsciemment car je n’avais pas de modèle de femmes cheffes électro. En fait, le timing était très bon. Je commençais à m’ennuyer comme électricienne. Après ce premier long métrage, les projets se sont enchaînés : ‘Le Beau monde’ de Julie Lopes-Curval, le magnifique ‘Des apaches’ de Nassim Amaouche, tous les deux avec la directrice de la photo Céline Bozon. Cela s’est fait tout seul, de façon très fluide, très naturelle. Je me sens à ma place comme cheffe électricienne. Ce que j’apprécie par-dessus tout dans mon métier, c’est de raconter des histoires. J’aime aussi être sur un projet de A à Z, arriver très en amont, préparer le film, aller en repérages, dialoguer avec le directeur de la photo, le réalisateur et la déco, voir comment la lumière va se mettre en place dans les décors. J’ai vraiment l’impression d’être partie prenante du film. »
Le cinéma est avant tout fait de rencontres professionnelles et celle avec le directeur de la photographie Simon Beaufils marque durablement la carrière de Sophie Lelou. « Nous avons travaillé pour la première fois ensemble sur ‘Les trois sœurs’ de Valeria Bruni Tedeschi, pendant trois semaines intenses. Ensuite, nous ne nous sommes presque plus quittés. Sur le plateau, Simon aime beaucoup travailler avec des HMI et du tungstène. La matière de la lumière n’est pas la même avec ces projecteurs par rapport aux LED. C’est quelque chose de presque indéfinissable. Sur le nouveau film de Justine Triet, ‘Anatomie d'une chute’, nous avons notamment tourné six semaines dans un chalet en montagne, avec de larges baies vitrées qui formaient une découverte à 150 degrés. Nous avions aussi des extérieurs de nuit et de jour dans la neige. Pour réaliser les entrants de lumière, nous avons installé un ARRIMAX sur une nacelle à 45m de haut. C’était la seule solution pour éclairer les trois niveaux du chalet à flanc de montagne et compenser le niveau des découvertes sur la neige ensoleillée.
ARRI M-Series sur le tournage d’ « Anatomie d'une chute »
Avec Simon, nous nous appuyons beaucoup sur la Serie M d’ARRI. Sur le tournage, nous nous sommes servis des M90, M40 et M18. Ils ont un très bon rendement. Nous les utilisons beaucoup en réflexion. Ils sont à la fois très doux, mais aussi très puissant. Ce qui permet d’avoir une large amplitude d’utilisations. Pour éclairer le décor du chalet par les côtés, on installait aussi des M90 sur des portiques, des tours ou des ‘Long John’ selon le dénivelé. Dans les intérieurs, il n’y avait quasiment pas de projecteur. On s’appuyait sur les entrants de lumière, on jouait sur la réflexion et la diffusion, on sculptait la lumière. Nous disposions par terre des draps, gris ou écru, pour déboucher les ombres et éviter les dominantes rouges du sol sur les visages. Il y avait aussi une vraie problématique sur l’alimentation en énergie à 1800m d’altitude. Nous avions deux branchements de 36 kW sur le réseau, un coupleur de phase pour le 18 kW mais ce n’était pas suffisant. Il a fallu installer un groupe de chantier de 40kW et faire venir une citerne qui l’alimentait en carburant. C’était assez lourd à organiser mais il n’y avait pas d’alternative car il n’existe pas aujourd'hui de LED avec autant de puissance. »
Sur le magnifique « Antoinette dans les Cévennes », de Caroline Vignal, toujours avec le DP Simon Beaufils, c’est une tout autre problématique lumière qu’ils doivent affronter avec Sophie Lelou. Car le film se passe pour l’essentiel dans la nature. « Pour les extérieurs en montagne, j’utilisais beaucoup de réflecteurs et je plaçais parfois un cadre de diffusion au-dessus du personnage principal pour essayer de calmer la lumière solaire. J’ai fait tous les repérages avec l’application Sun Seeker qui permet de connaître précisément la course du soleil à une date et une heure donnée.
Préparer un tournage en fonction de la position du soleil
Avec Simon, nous avons fait un important travail de préparation et de réflexion pour savoir quand et où tourner en fonction de la position du soleil. Cela nous permettait d’organiser au mieux les journées de tournage de façon à pouvoir filmer dans les bons axes, au bon moment. Pour les scènes de repas en terrasse, j’avais fait tendre des toiles diffusantes au-dessus des comédiens. On utilisait aussi des filets de camouflage pour créer des ombres et atténuer la lumière. Parfois, on refaisait aussi des ombres avec de fausses branches. Dans les intérieurs de gîtes, nous avons surtout utilisé des M90 et des M40 par les fenêtres. Nous nous entendons très bien avec Simon. Nous sommes beaucoup dans l’échange. Il me dit ce qu’il a en tête pour un film. Je propose des choses. On voit ce qui est possible de faire. Nous avons fait dix films ensemble. À chaque fois, on essaie de pousser les choses un peu plus loin. C'est très motivant. »
Travailler avec le ARRI L7-C sur « Ma France à moi »
Récemment, Sophie Lelou a retrouvé le DP Bertrand Mouly, qui l’avait fait débuter comme cheffe électro, sur le nouveau long-métrage de Benoît Cohen, « Ma France à moi ». « C’était un tournage génial, avec une très bonne ambiance. Benoît sait s’entourer de gens très doués et bienveillants. Dans une scène de nuit, j’ai utilisé pour la première fois le projecteur L7-C d’ARRI que je connaissais mal. C'est un Fresnel LED que l’on focalise. Il s’est révélé très intéressant à utiliser. Nous tournions de nuit dans Paris, sans énergie. J’ai utilisé le L7-C en rebond sur les immeubles pour éclairer le quai de Valmy. Le projecteur était branché seulement sur une valise énergie. C'est très pratique. »
Sur le remarquable premier film de Xavier Legrand, « Jusqu’à la garde », Sophie Lelou a accompagné la directrice de la photographie Nathalie Durand pour créer une lumière subtile en rapport avec le thème très fort du film. « J’avais déjà travaillé avec Nathalie et Xavier sur ‘Avant que de tout perdre’, son court-métrage primé aux César et sélectionné aux Oscars. D’ailleurs, nous préparons actuellement son prochain long métrage. Sur ‘Jusqu'à la garde’, Nathalie voulait une lumière discrète, qui soit au service de la mise en scène. Nous cherchions à être justes, au plus près des différentes ambiances dans lesquelles les comédiens devaient s’immerger, jusqu’à être parfois à la limite du visible. La lumière devait être actrice du film. Pour cela, nous avons utilisé des sources tungstène en réflexion, comme pour la scène de la salle de bain. L’idée était d’être vraiment précises.
Les ARRI SkyPanels sur la liste de tous les projets de Sophie Lelou
Nous avions aussi des pipelines de LED que nous pouvions cacher facilement. Pour le décor de l’appartement, tourné en studio, nous avons utilisé, entre autres, des M18 pour les entrées de fenêtres et des SkyPanels S60-C sur portique pour éclairer la découverte imprimée sur toile. C’était très pratique d’avoir enfin une source LED propre, diffuse, puissante et contrôlable à distance en DMX, sur laquelle je pouvais modifier l’intensité sans changer la température de couleur. Sur tous les films, j’ai des SkyPanels dans ma liste, même si je n’y recours pas forcément en première intention. Je les utilise surtout en appui, mais je les ai toujours à ma disposition. La dalle LED ARRI est bien et hyper propre. J’aime beaucoup le SkyPanel S60-C. Il est puissant. Cela m’arrive de faire de la face avec lui, en l’utilisant avec une Chimera. »
En parallèle de son travail de cheffe électro, Sophie Lelou participe activement au collectif « Femmes à la caméra », qui milite pour une présence accrue des femmes dans les métiers du cinéma. Une association dans la mouvance du collectif « 50/50 », qui œuvre à la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel. « Le sujet m’intéresse beaucoup. Je connaissais les pionnières de ‘Femmes à la caméra’, les directrices de la photographie Céline Bozon, Claire Mathon et Nathalie Durand, entre autres. C’est important d’avoir un espace pour échanger, parler des situations et challenges que nous rencontrons, sans se sentir jugées. »
Lutter pour l’égalité des sexes dans l’industrie cinématographique
Le collectif est aussi là pour combattre les dérives sexistes qui peuvent avoir lieu sur certains tournages. Le mouvement #MeToo a beaucoup aidé à cette prise de conscience et cela passe par la libération de la parole. Une hotline intitulée « Femmes à l'écoute » a été mise en place avec des volontaires pour que les techniciennes concernées puissent signaler des mises en difficulté sur un film. C’est très important que les femmes ne se sentent pas seules quand il y a des dérives sur un tournage.
« Au sein du collectif, on évoque aussi le vrai problème de plafond de verre pour les femmes dans les équipes caméra. La plupart du temps, elles n’ont pas accès aux longs métrages ou aux publicités à gros budget. Nous militons aussi pour ouvrir les portes du cinéma aux techniciennes et changer le regard des différents collaborateurs sur le sujet. Je suis de plus en plus contactée par de jeunes femmes qui me demandent comment devenir cheffe électricienne. Quand j’ai débuté, j’ai eu la chance de travailler avec des chefs comme Michel Sabourdy, Claude Hirsch, Franck Barrault ou Mikael Monod qui m’ont donné l’opportunité de faire partie de leurs équipes. Sur certains projets, cela n’a pas toujours été simple d’être la seule fille dans l’équipe électro. Au début, certaines personnes avaient du mal à me prendre au sérieux. J’ai dû me battre pour prouver que j’étais capable et justifier ma place. Quand je suis passée cheffe électro, certaines productions demandaient si j’allais savoir tenir mon équipe. Les choses ont évolué depuis, mais il faut continuer à changer les mentalités, à sortir des lieux communs sur les femmes dans les métiers de l’image. Aujourd’hui, je suis la preuve qu’être une femme cheffe électricienne est possible, et j’encourage celles qui sont passionnées par la lumière à suivre leurs envies et foncer. »
Opening image: Manuel Moutier