Première navigatrice à gagner La Route du Rhum en 1990, Florence Arthaud a été une pionnière féminine de la course au large. Pour traduire l’énergie insatiable du personnage, qui a vaincu tous les obstacles pour vivre sa passion, le directeur de la photographie Pierre Milon AFC a conçu une image brillante et contrastée pour « Flo ». Il nous partage son expérience sur ce film épique tourné avec l’ALEXA Mini LF et les optiques ARRI Signature Prime.
« Flo » est le premier long métrage de Géraldine Danon. Comment avez-vous abordé ce biopic sur la navigatrice Florence Arthaud ? Quels étaient les désirs de la réalisatrice en matière d’image ?
Je suis arrivé très tard sur le film, seulement un mois et demi avant le début du tournage. Ce qui est très peu pour un long métrage de cette ampleur. Je crois que la réalisatrice cherchait un chef opérateur avec qui s’entendre humainement, quelqu’un qui ait une connivence artistique et humaine avec elle. Lors de la préparation du film, Géraldine Danon m’a surtout parlé de Florence Arthaud, qu’elle connaissait bien. Elle a beaucoup insisté sur l’énergie de cette femme qui était proche d’elle, de son côté solaire, de l’espèce d’énergie absolue qui la portait. Ce sont ces discussions qui ont déterminé un type de filmage, notamment sur les séquences à terre que j’ai tourné entièrement à l’épaule. Je voulais traduire cette énergie du personnage.
Le film se passe essentiellement dans les années 70 et 80. Comment avez-vous abordé cette transcription de l’époque à l’image ?
Géraldine Danon souhaitait avant tout faire le portrait d’une femme d’aujourd’hui. Bien sûr, nous avons discuté des différentes époques où se situe le récit. Mais, j’ai fait le choix de ne pas spécialement styliser l’image. Je ne voulais pas faire quelque chose qui fasse penser aux années 70 et 80. Je trouve qu’à chaque fois que l’on fait un traitement de l’image particulier pour signifier une époque, on la caricature. Sur « Flo », les décors et les costumes marquaient déjà suffisamment ces années-là. Je n'ai pas voulu en rajouter au niveau de l’image. Et puis, une époque, c’est aussi une manière de se comporter dans la vie, une façon d’être les uns avec les autres, comme le montrent les personnages dans cette histoire. Si j’avais fait une sorte de faux film argentique pour la période des années 70, je pense que cela aurait desservi le film.
« Flo » est de bout en bout un film lumineux, solaire. Comment avez-vous travaillé l’image dans ce sens ?
J’ai fait un choix très simple d’une image assez brillante et assez contrastée. Du premier au dernier plan, le récit colle aux basques de Florence Arthaud, interprétée par la comédienne Stéphane Caillard, qui porte vraiment le film. C’est toujours le personnage qui m’a guidé. J’ai essayé de faire une image qui soit dans la même dynamique que la navigatrice. Et puis, en Guadeloupe et en Afrique du Sud, nous avons eu une lumière extraordinaire. Même lors du tournage en Bretagne, nous avons été gâtés par la météo, alors que je m’attendais à devoir me battre avec les éléments. Partout où nous avons tourné, nous avons bénéficié d’une lumière solaire. Cela a beaucoup bénéficié au film.
Pourquoi avoir opté pour le combo ALEXA Mini LF et optiques ARRI Signature Prime sur ce film ? Qu’est-ce qui a guidé votre choix ?
Depuis toujours, je tourne en ALEXA. J’ai fait quelques infidélités à ARRI sur les trois derniers films de Robert Guédiguian, mais je travaille très souvent avec cette caméra. Sur « Flo », c’était la première fois que j’utilisais l’ALEXA Mini LF. C’est un très bel outil. Je n’ai que des compliments à faire. Je n’ai pas vraiment fait d’essais comparatifs pour me décider. J’ai choisi la LF pour le grand format. Celui-ci me donnait plus de latitude sur la profondeur de champ. Dans les séquences intimes, j’allais pouvoir bénéficier de très peu de profondeur de champ tout en étant proche du personnage. Alors que sur la mer, dans les paysages, j’allais pouvoir redonner de l’ampleur aux plans avec le grand format. En fait, l’ALEXA Mini LF était parfaitement adaptée pour un film de grands espaces comme « Flo ».
Par contre, pour les optiques, j’ai fait des essais comparatifs. J’ai choisi la série Signature Prime que j’ai associée à un filtre Soft/FX. De cette façon, j’avais la précision des Signature Prime tout en rajoutant de la douceur avec le filtre. Cela donnait une image très dynamique, très précise, mais avec de la douceur. Le grand format me permettait aussi d’être à l’aise avec des courtes focales, notamment dans les scènes à l’intérieur du bateau, où je travaillais au 25mm et au 35mm. Sur « Flo », j’étais soumis à des espaces extrêmement réduits. Même sur le pont des bateaux, j’étais toujours très proche de la comédienne et j’arrivais à filmer de beaux gros plans, sans déformation. C’est ce qu’a permis le grand format de la LF.
Finalement, les plans sur le bateau se sont révélés plus simples à tourner que je ne le pensais. Avant le tournage proprement dit, nous sommes partis faire des essais en mer avec le trimaran pour voir comment nous allions nous débrouiller. Au final, j’ai vu qu’en travaillant à l’épaule avec l’ALEXA Mini LF, j’avais beaucoup de souplesse pour me déplacer sur le bateau. Le trimaran mesure quinze mètres de large et il y a des filets entre les flotteurs sur lesquels je pouvais marcher. Cela m’a permis d’avoir des angles de prises de vues très différents, des positions de caméra variées. En fait, ce type de bateau est assez stable en mer, comparé à un monocoque. Bien sûr, quand ça file à pleine vitesse, ça va très vite, mais les mouvements sont moins prononcés que sur d’autres types de navires. À l’épaule, j’arrivai à faire des plans qui gardaient une forme d’instabilité, mais sans aller jusqu’à mettre en danger l’image. Cette instabilité créait même une dynamique, un mouvement très intéressant au récit.
Comment avez-vous géré la lumière sur le bateau ? Le temps change tout le temps en mer, les raccords sont presque impossibles.
Je n’ai pas eu de gros problèmes de raccords. Sur les différents navires, je n’avais aucune lumière additionnelle. C’était même impossible d’avoir un électro (gaffer) avec un réflecteur. Et puis, tout va très vite sur un navire. Souvent, j’étais à cheval sur un des flotteurs en train de cadrer. Nous n’avions simplement pas le temps. J’ai seulement rajouté un peu d’éclairage dans la scène d’intérieur, dans la cabine de nuit, mais c’est tout. Sur les extérieurs en mer, la seule chose que je pouvais faire, c’était de positionner le bateau en fonction du soleil. J’ai essentiellement joué là-dessus pour être raccord. Ce qui reste assez compliqué, parce que le navire avance par rapport à la direction du vent. Il fallait toujours en tenir compte. Cela a donc été une gymnastique permanente entre la position du bateau, celle du soleil et celle du vent. En fait, j’ai joué avec les éléments naturels. Mais, nous avons eu beaucoup de chance avec la météo. En Bretagne, lors des sorties en mer, le beau temps tenait toute la journée. Je n’ai pas eu à commencer une séquence sous le soleil et, tout à coup, devoir la finir sous la pluie. Je regrette peut-être que nous n’ayons pas eu plus de plans avec la comédienne face à une mer déchaînée, mais ça ne s’est pas présenté au niveau météo. Les seules séquences où la mer est très formée ont été faites avec un hélicoptère. Pour les plans larges, j’avais fait installer sur le bateau accompagnateur un stabilisateur que je pilotais avec un joystick. Reste que tourner en mer, c’est très lourd comme organisation. Quand on part le matin, il faut naviguer deux heures avant d’être loin des côtes et pouvoir commencer à filmer.
Comment avez-vous exposé l’ALEXA Mini LF ? Avez-vous utilisé des LUTs ?
En général, avec moi, c’est la simplicité qui prime. Je ne vais pas me mettre à réaliser des torsions de l’image compliquées pour obtenir je ne sais quel effet. Sur « Flo », j’ai utilisé l’ALEXA Mini LF à 1280 ISO. Lors des essais, j’avais vu qu’elle était très bien à ce niveau d’exposition. Cela me permettait d’être un peu moins défini, d’avoir une texture d’image qui me sortait du numérique. Pour le reste, je ne suis absolument pas LUTs, ou plutôt, je ne peux pas faire des LUTs décontextualisées, à partir d’essais faits en studio. Pour moi, la LUT, je la conçois après quelques jours de tournage, dans les vrais décors, dans les vrais extérieurs, avec la vraie lumière. Quand l’étalonneur reçoit les premiers rushs, nous définissons une LUT qu’il va appliquer sur les images. Sur « Flo », après le tournage des premières séquences à Paris, j’ai ainsi pu aller voir les rushs au labo avec l’étalonneur et la LUT que nous avons conçue. Mais je ne fais pas de LUTs préétablies.
Opening image : Lucien Balibar