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Le chef électricien Pierre Michaud partage son goût de l’innovation avec ARRI

Chef électricien depuis 30 ans, Pierre Michaud utilise une large gamme d’outils ARRI Lighting sur ses tournages.

Jul. 1, 2024

Aussi à l’aise sur les films d’auteur français que sur les films d’horreur internationaux, Pierre Michaud est toujours à l’affût des nouveautés techniques pour s’adapter aux spécificités de chaque long métrage. Fervent utilisateur des SkyPanels et des projecteurs ARRI Série-M, il a mis au point une roulante à partir de laquelle il pilote lui-même tous les projecteurs au plus près du DP et du réalisateur. Il nous parle de son travail sur la lumière et de son utilisation des outils ARRI Lighting sur ses projets.

« J’ai commencé par la lumière de théâtre vers 22 ans, au Café de la Danse (Paris), où j’ai appris beaucoup de choses » explique le chef électricien Pierre Michaud. « Mais, comme je m’ennuie très vite, j’ai eu envie de retrouver le cinéma que j’avais côtoyé enfant comme acteur. J’avais aussi baigné dans le cinéma à New York, au début des années 90, où j’étais parti à 18 ans avec mes cachets de comédien. J’y ai tout de suite trouvé du travail comme script, photographe de plateau, assistant monteur, avec des gens incroyables comme Todd Haynes et Larry Clark, qui débutaient à cette époque. Il y avait une effervescence incroyable à New York à ce moment-là. Du coup, après Le Café de Danse, j’ai fait des courts-métrages et des clips comme chef électricien. Et j’ai eu beaucoup de chance. En 1993, je participe au clip du groupe IAM, réalisé par Michel Gondry, ‘Je danse le mia’, qui a un énorme succès. J’enchaîne avec ‘Sélect Hôtel’ de Laurent Bouhnik, qui a eu un réel impact à l’époque. Nous avions très peu de moyens sur ce film, qui a démarré comme un court-métrage et s’est terminé en long-métrage. J’étais tout seul à la lumière, je n’avais pas d’équipe, mais je me lie d’amitié avec le directeur de la photographie Gilles Henry AFC. Cela a été une rencontre essentielle pour moi, qui s’est transformée en une longue collaboration de près de 20 ans. Il venait de faire le ‘Van Gogh’ de Maurice Pialat et les premiers films de Pierre Salvadori. Il a été dans la transmission avec moi. C’est ainsi, très naturellement, que je me suis retrouvé à faire des films comme chef électricien à seulement 25 ans. »

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Quatre Série-M 9kW sur le tournage de « L’Abbé Pierre, une vie de combats »

« Sur un plateau, je trouve la position de gaffer plutôt confortable, alors que le directeur de la photographie est accaparé par le metteur en scène. Pour moi, le moment le plus important se passe avant le tournage, pendant la préparation. C’est là que se fait le vrai travail avec le DP, le chef déco et le réalisateur. C’est primordial. Peut-être qu’on ne sait pas encore où l’on va aller, mais, au moins, on décide dans quelle direction on n’ira pas. Une fois la préparation terminée, tout devient très simple pour moi. Il n’y a plus qu’à dérouler. »

« Sur ‘L’Abbé Pierre - une vie de combats’, le réalisateur Frédéric Tellier savait ce qu’il voulait en matière d’image. Il nous a donné ses références. Le DP Renaud Chassaing AFC avait fait ses précédents films, ils savent parfaitement communiquer. Avec Renaud, nous avons réalisé beaucoup de tests en préparation. Sur ce biopic, qui se déroule des années 30 jusqu’aux années 2000, l’enjeu en matière d’image était de rendre les époques avec des textures de lumière différentes. Le choix de Renaud a été celui d’une lumière très contrastée, mais qui soit douce, même si cela peut paraître contradictoire. ‘L’Abbé Pierre...’ est un film avec un soleil d’hiver très marqué, mais sans lumière zénithale. Sur la scène dans la grande salle de l’Unesco, j’ai utilisé six tours de 9kW avec des M90s ARRI, équipés de boîtes à lumière Chimera. Nous aimons beaucoup cette configuration avec Renaud. Cela donne une lumière à la fois puissante et très douce. C’est facile à mettre en place et à contrôler. Nous les avons pas mal utilisés pour les scènes d’hiver où nous avions besoin de puissance et de douceur. »

« Dans la première partie du film, pour rendre l’époque, nous avons choisi des projecteurs traditionnels en évitant au maximum les LEDs. J’ai mélangé du tungstène avec des HMIs très doux. Pour la période des années 50 aux années 70, j’ai recréé la lumière des néons fluorescents avec des LEDs. J’utilisais en général des SkyPanels 360 en entrant, équipés d’un Chimera, et d’autres LEDs plus focalisées. J’ai toujours des S360 dans ma liste. C’est un outil polyvalent pour le jour comme pour la nuit. J’aime bien les combiner avec des HMIs. Je trouve que ce mélange de lumière est très intéressant. Avec les SkyPanels, je peux notamment changer les teintes sur les ombres. Comme nous tournions uniquement en décor naturel, j’ai aussi beaucoup utilisé de ballons.
Le plus souvent, avec Renaud Chassaing, nous nous appuyons sur une base de lumière qui vient des extérieurs. Il ne veut pas avoir de pieds ou de projecteurs sur le plateau. Il souhaite que le metteur en scène puisse embrasser tout le décor sans incommodation technique, de façon à s’emparer de l’espace de jeu avec ses comédiens. Quand on se rapproche, sur les plans serrés, bien sûr, je vais mettre un projecteur et des panneaux. Mais son idée est toujours de donner le maximum de liberté au réalisateur. »

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Sur « L’Abbé Pierre – une vie de combats », l’enjeu en termes d’image était de retranscrire les époques avec des textures de lumière différentes

« J’utilise beaucoup de projecteurs différents, mais quand les SkyPanels sont arrivés sur le marché, cela m’a tout de suite intéressé. Je viens de la lumière de théâtre et j’ai toujours voulu utiliser une console pour contrôler les projecteurs. C’est ce qu’ont permis les SkyPanels, en plus de faire varier l’intensité sans changer la température de couleur. On ne pouvait pas faire ça auparavant avant les autres sources. Comme je n’aime pas gérer les projecteurs depuis un iPad - ce n’est pas pratique pour réagir rapidement -, je suis allé acheter une roulante de tournage chez un spécialiste du matériel audio. J’y ai installé une console de mixage Midi, qui pilote l’iPad, un ordinateur avec un ou deux écrans et le nécessaire de batterie pour alimenter tout ça. Je relie les SkyPanels et tous les autres projecteurs, à ma console en liaison sans fil. Cela me permet de déplacer la roulante sur le plateau, pour la mettre au plus près du DP et du réalisateur. Et je pilote le tout en direct. Je peux ainsi ajuster très vite la lumière, même pendant un plan. Aujourd'hui, j’utilise ce système sur tous mes tournages. Sur ‘Oxygène’ d’Alexandre Aja, qui se passe dans un décor unique où la lumière joue un rôle essentiel, le DP Maxime Alexandre ASC était aux manivelles et le réalisateur me lançait ses ordres pendant le plan : ‘rouge, flash, bleu...’. J’envoyais immédiatement les effets en appuyant sur mes touches préprogrammées. C’était très efficace. Je n’aurais jamais pu obtenir ce résultat en travaillant autrement. »

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Plateau du film « Oxygène », éclairé par les SkyPanels et tourné en ALEXA LF et optiques Signature Prime

J’ai toujours des SkyPanels S360 dans ma liste. C’est un outil polyvalent pour le jour comme pour la nuit.

Pierre Michaud

Chef électricien

« J’aime utiliser les SkyPanels en grand nombre en studio pour faire des boîtes à lumière. Sur ‘Crawl’ d’Alexandre Aja, avec le DP Maxime Alexandre, nous sommes montés jusqu’à 250 SkyPanels dans les studios de Belgrade. Ce film était un énorme défi technique. L’histoire se passe pendant l’ouragan Katrina, avec l’eau qui envahit progressivement les habitations. Le plan de travail était d’ailleurs calé sur la hauteur d’eau dans les plateaux : 50 cm, 1 m, 1,80 m, 2,10 m, etc. Il y avait aussi de grosses contraintes de pluie, de vent. C’était dantesque. Heureusement, j’avais une équipe d’électros serbes géniale. En top light, j’avais fait installer une dizaine de boîtes à lumière équipées chacune de 12 SkyPanels. Cela me donnait une ambiance sur le décor extérieur et les découvertes quand on tournait dans les intérieurs. Sur les SkyPanels, je me suis servi du Clouds Effect qui est très pratique. Je pouvais ainsi créer des changements de lumière très violents propres à un cyclone. ‘Crawl’ est un film d’horreur, un film de mood. Dans les intérieurs, la plupart du temps, nous laissions tout dans le noir et nous éclairions avec de petits projecteurs dirigés vers des miroirs. Cela nous permettait de créer des tâches de lumière très précises sur les comédiens. Comme les personnages se cachent et sont immobiles, c’était pratique pour les éclairer. »

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Sur « Crawl », Pierre Michaud a utilisé jusqu’à 250 SkyPanels au studio de Belgrade

« Nous avions aussi un énorme backlot, avec quatre maisons, une station-service et une place, construit dans un immense hangar. J’ai réalisé un effet mécanique très intéressant pour rendre l’œil du cyclone qui arrive sur les maisons. J’avais fait installer six ARRIMAX 18kWs équipées de grandes jupes. La scène était dans la pénombre et tout à coup, il y avait cette énorme colonne de lumière qui tombait sur le décor. Cela fonctionnait très bien. J’ai fait trois films avec Alexandre Aja. J’adore travailler avec lui et Maxime Alexandre. Ils ont une très belle relation DP-réalisateur. Avec Maxime, nous nous connaissons depuis le temps où nous étions assistants. Ce que j’aime avec lui, c’est qu’il laisse toujours la porte ouverte sur une petite magie qui peut arriver tout à coup. Il n’aime pas se laisser enfermer dans une première idée. »

« Je travaille aussi régulièrement avec la DP Céline Bozon AFC. C’est quelqu’un de très intuitif, avec qui il faut s’adapter en permanence. Il y a deux ans, nous avons fait ensemble ‘Annie Colère’ de Blandine Lenoir, un film très juste sur l’avortement dans les années 70. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur les décors et les costumes de Marie Le Garrec qui étaient très réussis. Pour obtenir des teintes chaudes, j’ai utilisé un mélange tungstène-HMI avec notamment un ARRI Daylight Fresnel 18kW branché sur un ballast selfique que j’avais fait modifier. Je le mixais avec des lampes à incandescence basse tension ACL, qui servent d’habitude à faire atterrir les avions. Cela donnait quelque chose de très piqué, de très chaud. Avec Céline, j’ai aussi fait un long métrage très intéressant au niveau de la lumière : ‘L’enfant rêvé’. Un film tourné tout en plans séquences, avec des changements constants de luminosité. J’utilisais des SkyPanels que je pilotais en direct depuis ma roulante. Je changeais l’intensité dans le plan, j’enlevais une fausse teinte, etc. »

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Le gaffer a réalisé l’œil du cyclone grâce à une colonne de lumière composée de six ARRIMAX 18kWs équipés de grandes jupes 

« Ce que j’aime, c’est faire la lumière à la face sur le plateau. Pour le reste, je délègue beaucoup à mon équipe. Je viens de terminer le tournage de ‘The Veil’, avec Elisabeth Moss. Une mini-série de 6 épisodes, photographiée par les DP Stuart Biddlecombe et Bonnie Elliott, qui se passe entre la Turquie, Paris et l’Angleterre. J’avais mon rigging gaffer, Marco Beaurepaire, qui faisait tous les prélights en studio. Margaux Rivera s’occupait des extérieurs, avec de grosses installations à monter, comme lorsqu’il a fallu éclairer la cathédrale de Canterbury avec douze nacelles équipées d’ARRIMAX 18kWs. Et Marilyne Dufourg travaillait en amont avec les décorateurs pour la partie anglaise. Chacun à sa responsabilité, chacun à sa personnalité. C’est une équipe mixte, très compétente, très impliquée. Ils savent travailler ensemble et se respectent beaucoup. Grâce à eux, je n’ai pas à m’occuper des camions, des gélatines ou des loueurs. Je peux me concentrer sur le travail de la lumière sur le plateau, au plus près du DP et du réalisateur. »

Image d’ouverture : Sergej Radovic