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Le DP Nicolas Bolduc CSC en ALEXA 35 sur « Le Comte de Monte-Cristo »

Après avoir utilisé l’ALEXA Mini LF sur « Les Trois Mousquetaires », le directeur de la photographie Nicolas Bolduc CSC a choisi l’ALEXA 35 sur la superproduction « Le Comte de Monte-Cristo ».

Nov. 18, 2024

Immense succès public avec plus de 9 millions d’entrées, « Le Comte de Monte-Cristo » est un projet ambitieux qui renoue avec le film à grand spectacle en France. Le directeur de la photographie Nicolas Bolduc magnifie cette histoire de vengeance ultime avec l’ALEXA 35, la nouvelle caméra d’ARRI au format Super 35. Il nous explique ses choix d’image pour aborder ce héros « bigger than life ». Habitué des grosses productions, Nicolas Bolduc a déjà signé la photographie des « Trois Mousquetaires » de Martin Bourboulon et de « Enemy » de Denis Villeneuve.

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Pierre Niney, les réalisateurs Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte et, le directeur de la photographie Nicolas Bolduc CSC sur le tournage de « Le Comte de Monte-Cristo »

Avec « Le Comte de Monte-Cristo », vous renouez avec une grande figure de la littérature après « Les Trois Mousquetaires ». Comment avez-vous abordé le film avec les deux réalisateurs, Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte ?

Sur « Le Comte de Monte-Cristo », je suis allé dans une direction totalement différente des « Trois Mousquetaires ». Au départ, Alexandre et Matthieu, les coréalisateurs, voulaient une image élégante comme celle du « Guépard » de Luchino Visconti. C’était chouette comme référence de base. De mon côté, j’ai essayé d’amener quelque chose de plus contemporain de façon à traduire le grand thème de la vengeance qui est au cœur du film. J’ai pensé, bien sûr, à Brian De Palma, avec « Carrie », « Carlito’s Way » ou encore « The Untouchables ». Je me suis imaginé quelque chose de « too much », qui donne du plaisir au spectateur. Il ne fallait pas hésiter à faire d’Edmond Dantès un vrai héros, presque un personnage de bande dessinée, au lieu de simplement un bourgeois qui veut se venger. Dans « Le Comte de Monte-Cristo », cela passe par des mouvements de caméras, des ralentis, des partis pris de lumière, le cadrage des personnages. Avec les réalisateurs, nous voulions surprendre le spectateur à chaque scène. Au final, c’est une image plus classique que « Les Trois Mousquetaires », avec des couleurs saturées, mais avec la volonté de traiter Monte-Cristo en héros moderne.

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L’une des raisons qui ont poussé Nicolas Bolduc à choisir l’ALEXA 35 pour « Le Comte de Monte-Cristo » est sa grande latitude dans les hautes lumières

La douceur de l’ALEXA et son rendu dans les hautes lumières me plaisaient mieux. J’adore faire éclater les hautes lumières et retrouver quand même un peu de détail dedans.

Nicolas Bolduc CSC

Directeur de la photographie

Vous aviez travaillé avec l’ALEXA Mini LF sur « Les Trois Mousquetaires ». Pourquoi avoir choisi l’ALEXA 35 sur « Le Comte de Monte-Cristo » ?

L’ALEXA Mini LF est une caméra magnifique, mais pour l’équiper d’objectifs anamorphiques, il faut installer des « expanders » de façon à couvrir tout son grand capteur. Je l’ai fait sur « Les Trois Mousquetaires » pour pouvoir utiliser la série C de Panavision, avec laquelle je travaille sur tous mes films depuis « La Belle Époque », de Nicolas Bedos. Je suis très attaché à ces optiques anamorphiques qui datent des années 60, et sont très compliquées à obtenir. Je crois qu’il n’y a que sept séries dans le monde. J’adore leurs imperfections qui donnent énormément de vie à l’image. 

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Pendant la préparation du « Comte de Monte-Cristo », j’ai fait des essais comparatifs avec plusieurs caméras et la série C. La première raison de mon choix de l’ALEXA 35, c’est qu’elle dispose d’un capteur 4K de taille Super 35. Ce qui me permettait de monter les optiques anamorphiques directement dessus, sans « expander ». L’ALEXA 35 offre aussi beaucoup de latitude dans les hautes lumières. Je savais que nous allions être sur un film lumineux, avec des extérieurs très ensoleillés. La douceur de l’ALEXA et son rendu dans les hautes lumières me plaisaient mieux. J’adore faire éclater les hautes lumières et retrouver quand même un peu de détail dedans. Je pouvais aussi pousser la caméra à 2500 ISO sans avoir de grain. Avec l’ALEXA 35, j’obtiens presque un diaph et demi de plus que sur la Mini LF, dans les hautes et les basses lumières. Sur certains plans, avec une lumière de fin de journée, c’était sublime. Dans des scènes intimes, je peux éclairer avec seulement des petites sources. Cela évite d’avoir une installation hyper intimidante autour des acteurs. Le plateau est éclairé comme la scène devrait être vécue.

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« J’aime faire ma lumière après avoir vu les acteurs répéter l’action dans le décor […]. Ensuite, je fais des propositions d’ambiance aux réalisateurs. » explique le directeur de la photographie

La lumière est très subtile dans « Le Comte de Monte-Cristo ». Comment l’avez-vous construite ?

Sur ce film, je voulais des entrants de lumière peu visibles et surtout qu’ils ne soient pas marqués sur les personnages. À la place, je cherchais à frapper la lumière derrière les acteurs. Je voulais éclairer Monte-Cristo le moins possible, qu’il conserve toujours le visage un peu caché. Je pouvais éclater les fonds, mais le personnage restait toujours dans la pénombre. Cela permet de garder une zone d’ombre par rapport à l’histoire, que le spectateur en vienne à deviner ce qui se passe. Dans la scène du dîner d’Auteuil, où nous sommes beaucoup sur le regard des acteurs, j’ai travaillé les fonds avec un bleu assez électrique, pour créer un contraste avec la lumière chaude des bougies sur les visages. Sur beaucoup de scènes, j’ai essayé d’avoir toujours deux couleurs dans le cadre. C’est ainsi que l’on crée une image élégante. Sur mes films, j’utilise beaucoup de SkyPanel, mais aussi de grosses sources HMI, comme les ARRIMAX, pour éclairer les fonds. J’aime bien aussi les PAR M90 d’ARRI. Avec mon gaffer, Eric Gies, nous mixons cela avec plein de petites sources pour créer des taches de lumière dans les profondeurs et faire éclater les fonds ; mais aussi d’autres sources, comme des tubes LED. Personnellement, j’aime faire ma lumière après avoir vu les acteurs répéter l’action dans le décor. Je regarde comment ils bougent, comment ils se déplacent. Ensuite, je fais des propositions d’ambiance aux réalisateurs. L’idée est de laisser beaucoup de liberté aux comédiens, qu’ils ne soient pas contraints par des marques.

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Nicolas Bolduc a pu pousser l’ALEXA 35 à 2500 ISO sans avoir de grain

Sur « Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan » et « Les Trois Mousquetaires : Milady », vous avez fait le choix d’une image quasi monochrome, dans les tons marron chauds. Comment êtes-vous arrivés à ce parti pris très fort ?

Je ne crois pas beaucoup à l’étalonnage pour créer une texture d’image. Je préfère avoir tout dans la caméra au moment du tournage. J’utilise des filtres sur tous mes films depuis 2007, à l’exception de « Monte-Cristo ». Sur « Les Trois Mousquetaires », j’ai filtré avec des Tiffen Chocolat 1 et Chocolat 2 placés devant l’objectif, que j’alternais entre intérieurs et extérieurs. Quand on travaille avec un filtre un peu chaud, quelque chose se passe dans les carnations que j’aime beaucoup. Au moment des essais, j’ai fait cette proposition de look à Martin Bourboulon, le réalisateur, et Dimitri Rassam, le producteur, qui ont tout de suite été enthousiastes. Et je leur tire mon chapeau, parce que ce n’est pas évident comme choix pour deux films au budget de 72 M€. Il y a une vraie prise de risque, mais cela correspondait bien à la volonté de Martin de ne pas réaliser un film de cape et d’épée classique. 

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Jusqu’à 24 ARRIMAX ont été utilisés pour éclairer cette scène

Vous avez aussi des partis pris très forts au niveau de la lumière. Comment l’avez-vous travaillée ?

Sur « Les Trois Mousquetaires », dans presque tous les décors, j’utilise d’énormes entrants de lumière, réalisés avec des 18 kW installés sur des nacelles. Pour la scène dans la cathédrale de Meaux, j’avais jusqu’à 24 ARRIMAX et presque rien à l’intérieur, sauf un ballon. Ces entrants donnent du volume, créé de la profondeur, mettent en valeur l’architecture. Dans certaines scènes, je rajoutais de la fumée. Je cherchais à créer une texture dans l’air, que la lumière soit comme un personnage. Dès la préparation, Martin Bourboulon nous a dit qu’il voyait « Les Trois Mousquetaires » comme un western. Cette direction m’a beaucoup inspirée, en me donnant immédiatement des références, comme les films de Sergio Leone, Gordon Willis dans « Le Parrain » ou Harris Savides dans les années 90. Ce sont des palettes très chaudes qui viennent chercher le gamin, en moi, qui aime le cinéma. L’autre direction donnée par Martin, c’est qu’il voulait tourner toutes les scènes d’action en plan séquence. Une manière d’aborder les combats de façon plus immersive, plus moderne, pour que le spectateur vive l’action avec les personnages.

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Installation des ARRIMAX à la cathédrale de Meaux sur « Les Trois Mousquetaires »

L’ALEXA Mini LF est une caméra magnifique.

Nicolas Bolduc CSC

Directeur de la photographie

Dans « Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan », la longue scène d’ouverture sous la pluie est très réussie. Comment l’avez-vous filmée ?

C’était une scène très compliquée à tourner, sous la pluie, dans la boue. Tout était chorégraphié, mais, à un moment, d’Artagnan passe sous le carrosse. Pendant les répétitions, j’ai dit à Martin que je ne pouvais pas suivre à l’épaule. J’ai donc proposé de tourner en faux plan séquence, en le divisant en trois parties. J’ai utilisé un steadicam sur un des plans, le reste a été fait à la Technocrane. Mais il faisait hyper froid. Entre deux prises, il fallait enlever la glace qui s’accumulait sur la grue. C’était épique. Au niveau de la lumière, il y avait un énorme espace extérieur à éclairer. Nous avons opté pour des ARRIMAX 18 kW installés sur quatre nacelles. C’était la seule solution pour avoir assez de jus. Mais je voulais avoir toujours la lumière en « backlight » sur les personnages pour que l’on voie la pluie et obtenir quelque chose de dramatique. Comme on ne peut pas « dimmer » les 18 kW, nous avons fait venir de Londres des « shutters » équipés d’énormes volets pilotables à distance, qui occultent complètement la lumière sur commande. Dès que la caméra passait d’un côté, on fermait les volets instantanément et, au même moment, on ouvrait ceux sur la nacelle d’en face, pour que le personnage soit toujours en contre-jour. Cela fonctionnait parfaitement. D’ailleurs, nous avons fait très peu de prises.

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Scène d’ouverture de « Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan »

Quels sont vos projets aujourd’hui ? On parle d’un nouveau film avec Martin Bourboulon.

Oui, j’ai terminé en août le tournage de « 13 jours 13 nuits » avec Martin Bourboulon, qui se passe à Kaboul en 2021 quand la ville chute aux mains des talibans. J’ai utilisé une nouvelle fois l’ALEXA 35 et la série C, mais le look du film n’a rien à voir, ni avec « Le Comte de Monte-Cristo », ni « Les Trois Mousquetaires ». En fait, je choisis des outils qui me permettent de me sentir en sécurité, mais j’approche chaque film différemment. Je m’amuse avec une nouvelle façon de raconter l’histoire, avec une nouvelle palette. « 13 jours 13 nuits » est un drame, un film en tension. Une histoire vraie qui se passe au moment où l’ambassade de France a servi de refuge à près de 500 personnes pour les protéger des talibans. C’est un long métrage hyper contemporain qui se joue essentiellement dans des intérieurs et quelques extérieurs avec de très hautes lumières. Il fallait une caméra qui encaisse ces écarts. Les nuits sont aussi très sombres, surtout pendant la fuite de l’ambassade vers l’aéroport, avec beaucoup de scènes de voiture. Nous avions parfois jusqu’à 1000 figurants. Avec Martin Bourboulon, nous avons fait le choix de quelque chose d’immersif, mais posé, avec des mouvements de caméras très lents, très doux. Nous suivons l’action, mais sans en faire des caisses. Le film a une identité très forte.

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Nicolas Bolduc CSC et l’ALEXA Mini LF sur le tournage « Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan »

Photo d’ouverture : Chaper2