David Cailley signe l’image du « Règne Animal » tourné en ALEXA Mini LF
Le directeur de la photographie David Cailley a adopté l’ALEXA Mini LF et des outils d’éclairage ARRI pour créer l’univers visuel très fort du long métrage primé « Le Règne Animal ».
Mar. 15, 2024
Formé à l’école Louis Lumière, le jeune directeur de la photographie David Cailley (« Les Combattants ») signe avec « Le Règne Animal » la photographie très réussie de ce film d’anticipation particulièrement original, réalisé par son frère Thomas Cailley. Suite à ses débuts au Festival de Cannes l’année dernière, le film a reçu douze nominations à la 49e édition des César 2024 et a remporté cinq trophées, dont celui de la meilleure photographie. « Le Règne Animal » est un thriller à grand spectacle dans lequel des mutations dans la génétique humaine transforment les gens en créatures hybrides, mi-animales. Le film raconte l’histoire d’un père (Romain Duris) et de son fils de 16 ans (Paul Kircher), qui se lancent dans une quête pour retrouver leur femme et mère, atteinte de cette mystérieuse condition.
Le directeur de la photographie David Cailley, nous explique ici sa démarche pour construire l’image de ce long métrage où il a utilisé l’ALEXA Mini LF afin de créer une image hybride, entre le 35 mm et le numérique.
Le directeur de la photographie Cailley a choisi de filmer chaque décor en 35 mm comme référence pour l’étalonnage de l’image numérique sur « Le Règne Animal »
« Le Règne Animal » est le second long métrage où vous travaillez avec votre frère, le réalisateur Thomas Cailley. Comment avez-vous abordé ce film d’anticipation ?
J’étais au courant du projet dès le début de l’écriture. J’ai pu lire les différentes versions du scénario. C’était un atout pour l’image qui a bénéficié de toutes les discussions que nous avons eues en amont avec Thomas. Nous avons d’ailleurs commencé les repérages assez tôt, deux ans avant le tournage. Comme nous sommes originaires de la région Aquitaine, il y avait cette évidence d’aller chercher des décors là-bas, notamment des coins que nous connaissions de notre enfance. Au fur et à mesure du développement du projet, nous avons affiné nos idées de départ. L’omniprésence de la forêt, et donc du vert, était là dès le début. Il y avait aussi un gros enjeu autour des peaux des acteurs et des créatures qui sont au centre du film. Nous avons beaucoup discuté des ambiances de lumière, des aubes, des nuits, parfois des scènes en pleine lumière. Tout cela nous a aidés à construire la trajectoire de l’image, en fonction du parcours du personnage principal, le jeune Émile.
J’ai utilisé l’ALEXA Mini LF à 1600 ISO sur tout le film, même de jour, avec l’idée de décaler la courbe et d’obtenir plus de dynamique dans les hautes lumières.
L’ALEXA Mini LF en action pour tourner une scène en forêt
« Le Règne Animal » appartient à un genre très référencé, le film d’anticipation. Comment l’avez-vous intégré dans votre démarche et comment vous en êtes-vous démarqué ?
Je ne crois pas que « Le Règne Animal » appartient à un genre en particulier, mais plutôt que c’est un film qui emprunte aux genres. C’était l’idée d’ailleurs de construire un film hybride, comme « Les Combattants », à la frontière de ce qu’on appelle, à tort, le genre. « Le Règne Animal » est avant tout un film d’auteur. En préparation, nous avions une pièce chez Nord-Ouest Films, dans laquelle venaient tous les interlocuteurs du projet : les creatures designers, les storyboarders, la déco, les costumes... Au fil de nos échanges, nous placardions des images de référence sur les murs. Cela couvrait un champ assez vaste, de Miyazaki à « The Host », de Bong Joon-Hon, en passant par « À bout de course » de Sidney Lumet. Nous avons évoqué aussi les films d’Alice Rohrwacher ou « Call me by your name » de Luca Guadagnino, dans lesquels on sent la chaleur de l’été sur les peaux, et la nature avec des verts denses aux teintes bleutées. Chacun de ces films nous parlait par rapport aux différentes séquences du « Règne Animal ». Ils nous accompagnaient dans la question des intentions pour chaque scène, et plus globalement, dans la définition de la trajectoire du film. Il y avait notamment cette idée de la frontière entre les animaux et les hommes, qui traverse toute l’histoire et qui est matérialisée par les créatures.
Still de l’homme oiseau du « Règne Animal » interprété par Tom Mercier
Pourquoi avoir choisi de tourner « Le Règne Animal » en 2:39 avec ALEXA Mini LF ?
J’aime beaucoup l’ALEXA, sa dynamique et son ergonomie. Je tourne principalement avec cette caméra depuis des années. Mais c’est la première fois que j’utilisais l’ALEXA Mini LF sur un long métrage, même si j’avais déjà travaillé avec elle sur des formats courts. L’idée de tourner en 2:39 s’est imposée assez naturellement pour ce film. Quand nous avons vu les premiers storyboards dessinés dans ce format, nous avons senti que cela fonctionnait bien. En prépa, j’ai fait des essais avec des optiques scope, mais elles nous emmenaient trop vers la fiction, du côté de Spielberg, avec leur halo, leurs bokeh et leur flare caractéristiques. Nous avions envie de douceur, de réalisme, de quelque chose d’un peu plus terrien. Du coup, nous avons décidé de tourner en 2:39, mais avec l’ALEXA Mini LF et des optiques sphériques Primo 70, qui matchent bien ensemble. Le grand capteur de la Mini LF était aussi intéressant pour décoller les personnages du fond dans certaines scènes.
Le directeur de la photographie David Cailley a choisi l’ALEXA Mini LF en partie parce qu’il souhaitait avoir de la matière dans les noirs
Sur « Le Règne Animal », vous avez fait des choix marqués de rendu, avec une image très texturée. Comment avez-vous travaillé l’ALEXA Mini LF pour arriver à ce résultat ?
J’ai utilisé l’ALEXA Mini LF à 1600 ISO sur tout le film, même de jour, avec l’idée de décaler la courbe et d’obtenir plus de dynamique dans les hautes lumières. J’avais aussi envie de m’appuyer sur le grand capteur pour pousser la sensibilité et avoir plus de matière dans les noirs. Cela nous aidait pour les scènes de nuit et de pénombre, bien sûr. De base, j’aime beaucoup le grain de l’ALEXA qui est assez naturel. L’idée, c’était vraiment de tirer cette image numérique du côté du 35 mm techniscope, deux perforations, que j’aime beaucoup, et obtenir une image granuleuse, avec une courbe de contraste proche de la pellicule. Dans nos essais, cela se mélangeait assez bien avec le grain que l’on rajoutait en postproduction et qui nous permettait de donner la même texture à toutes les images. Et puis, tout au long du tournage, nous avons filmé chaque décor en 35 mm. Ce qui nous a servi de référence pour l’étalonnage de l’image numérique. Sur « Le Règne Animal », la question du rendu des peaux des créatures avec les prothèses était centrale. Dès le départ, j’avais l’intuition qu’une image texturée allait amener de la douceur et de la crédibilité à ces effets, qu’ils soient réels, c’est-à-dire réalisés sur le plateau, ou conçus en numérique.
Pour éclairer « Le Règne Animal », l’équipe de tournage s’est appuyée sur les lumières ARRI M-Series, les spotlights ARRIMAX et les SkyPanels
L’étalonnage a donc été une étape très importante. Avez-vous utilisé des LUTs sur le tournage ?
Sur « Le Règne Animal », j’ai travaillé avec l’étalonneur Yov Moor dont j’avais trouvé le travail très convaincant sur plusieurs films. Je pense notamment à « L’événement » d’Audrey Diwan, « Les Amandiers » de Valeria Bruni Tedeschi ou « Revenir » de Jessica Palud. Ces films avaient une texture qui se rapprochait du 16 mm bien qu’ils aient été tournés en numérique. En préparation, nous avons fait des essais comparatifs en 35 mm, tournés avec l’ARRI 435, et en numérique, notamment avec du maquillage et des prothèses sur les peaux. À partir de ces images, Yov a pu réaliser des LUTs de tournage. Les tests d’étalonnage m’ont vraiment convaincu que nous allions dans la bonne direction. Sur le plateau, j’avais trois LUTs principales - une pour le jour, l’autre pour la nuit et une LUT pour l’aube - qui étaient déclinées chacune sur plusieurs diaph. C’était comme si je partais sur un tournage en 35 mm, avec deux émulsions. Cela a aussi permis, dès le montage, à Thomas et à son chef monteur Lilian Corbeille de travailler avec des images qui avaient une direction forte, proche du rendu final.
David Cailley avait trois LUTs principales sur le plateau : jour, nuit et aube
Il y a beaucoup de scènes de pénombre ou de nuit en extérieur dans « Le Règne Animal », notamment la course-poursuite dans le champ de maïs et la scène finale dans la forêt. Comment avez-vous géré cela au niveau de la lumière ?
Ces scènes avaient besoin d’installations assez lourdes. Nous avons réalisé plusieurs plans d’éclairage avec notre chef électro Antoine Roux. Nous avions envisagé d’utiliser des ballons, mais ce n’était pas pratique en forêt avec les arbres. Et pour la course-poursuite, nous avions des plans larges de drones où les ballons auraient été dans le champ. Avec Antoine, on s’est vite mis d’accord sur des nacelles qui permettaient de monter beaucoup plus haut. Au final, nous avons utilisé quatre projecteurs 18kW, dont deux ARRIMAX, montés à 40 mètres sur des grues. Cela nous permettait d’éclairer les scènes des deux côtés, presque à 360 degrés. Le setup était très agréable à utiliser car cela nous évitait de bouger entre les différents plans. En forêt, c’était un peu la même chose, avec trois 18kW sur nacelle, plus des M90s qui complétaient le plan d’éclairage. Sur les autres décors, nous avions aussi des SkyPanels pour travailler les latéraux ou à la face, et parfois un petit ballon sur pied. Nous utilisions, bien évidemment, les M40 pour faire les entrants de lumière sur les fenêtres. Les éclairages de la Serie-M d’ARRI font partie de la liste classique que nous avons tout le temps avec Antoine Roux.
Le directeur de la photographie souhaitait créer une image numérique proche du 35 mm
L’ALEXA 35 apporte aussi un gros gain au niveau de la dynamique. (…) Maintenant que j’ai tourné avec cette caméra, je n’ai plus envie de revenir en arrière.
David Cailley
Directeur de la photographie
Quels sont vos projets aujourd’hui en matière de long métrage ?
J’ai tourné à l’automne 2023 « Cassandre », le premier long métrage d’Hélène Merlin. C’est un très beau drame, l’histoire de l'émancipation d’une jeune fille. J’ai travaillé avec l’ALEXA 35, que j’avais déjà utilisé en court métrage sur un segment de nuit. À l’époque, j’avais fait des essais à 3200 ISO qui s’étaient avérés bluffants, il n’y avait presque pas de bruit. Sur « Cassandre », cette grande sensibilité de l’ALEXA 35 nous a permis d’être plus légers au niveau de la lumière. Nous avions notamment des séquences de nuit, avec de grands espaces à filmer, comme un centre équestre. À 3200 ISO, on a pu éclairer le fond du décor avec seulement quelques projecteurs, dont un M40 et un M90. L’ALEXA 35 apporte aussi un gros gain au niveau de la dynamique. Actuellement, « Cassandre » est en montage, mais nous avons fait une petite séance d’étalonnage. Le rendu des couleurs sur les peaux est très bien. Il me tarde de voir ce que cela va donner à l’étalonnage final. Avec cette caméra, j’avais l’impression d’être complètement dans la continuité de l’ALEXA classique. Le mois prochain, j’entame le tournage de « Pourvu qu’il soit doux », le nouveau long métrage de Michel Leclerc. J’aime beaucoup son cinéma, à la fois généreux, drôle et impertinent. J’aimerais beaucoup travailler avec l’ALEXA 35 sur ce film, même s’il y a des implications budgétaires. Maintenant que j’ai tourné avec cette caméra, je n’ai plus envie de revenir en arrière.