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DP Amine Berrada filme avec ARRI « Les Meutes » et « Banel et Adama », nommés à Cannes

Le directeur de la photographie Amine Berrada AFC signe l’image de deux films très différents, un film marocain et un film sénégalais, remarqués par la critique.

Sep. 28, 2023

Ancien élève de La Fémis, le directeur de la photographie Amine Berrada AFC montre toute l’étendue de son talent dans deux longs-métrages en sélection à Cannes 2023. Sur « Les Meutes » de Kamal Lazraq, entièrement tourné de nuit, il construit une image très sombre qui traduit l’errance sans fin des personnages. Ce drame policier a reçu le prix du Jury Un Certain Regard. À l’inverse, « Banel et Adam », de la réalisatrice Ramata-Toulaye Sy, est un film solaire aux limites du conte. Cette histoire d’amour était nommée en sélection officielle à Cannes.

Le directeur de la photographie Amine Berrada partage à ARRI son expérience de tournage sur ces deux films tournés en ALEXA Mini.

« Les Meutes » a entièrement été tourné de nuit dans la banlieue de Casablanca, Maroc. Comment avez-vous abordé ce film très sombre ?

« Les Meutes » est une plongée dans les bas-fonds de Casablanca, avec ce père et son fils qui doivent se débarrasser du corps d’un homme avant le lever du jour. Ils évoluent en périphérie de la ville, comme si celle-ci les rejetait sans cesse. Mais nous sommes toujours en empathie avec eux. On ne les prend jamais de haut. Quand j’ai lu le scénario, j’ai pensé à « L'Enfer » de Dante. Ça m’a beaucoup aidé à construire l’image, comme de plus en plus noire au fur et à mesure qu’avance l’intrigue. Les personnages sont vraiment les damnés de la terre. C’est comme s’ils sortaient d’un cercle de l’enfer pour entrer dans un autre. Ils sont en permanence dans l’urgence. J’avais plusieurs références cinématographiques pour ce film. La trilogie « Pusher » de Nicolas Winding Refn pour le côté brut, rugueux. J’ai pensé aussi aux frères Safdie avec « Good Time », même si la caméra est un peu plus stable chez eux. J’avais aussi en tête « Kinatay » de Brillante Mendoza, qui se passe toute une nuit dans une voiture.

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« Les Meutes » est une plongée dans les bas-fonds de Casablanca

Quelles étaient les demandes du réalisateur Kamal Lazraq en matière d’image ? 

Je connaissais un peu Kamal puisqu’on a fait tous les deux La Fémis, mais à des époques différentes. Le réalisateur souhaitait une caméra hyper immersive, proche du documentaire pour ce film. Comme il voulait travailler avec des comédiens non-professionnels, nous avons cherché à les mettre dans des conditions de tournage optimales. Tous nos choix ont été faits en fonction de cette contrainte. Nous avons tourné le film dans la continuité pour que les acteurs ne soient pas perdus. Nous ne pouvions pas leur demander de faire plusieurs prises ou de respecter des marques. Il fallait donc nous adapter à leur jeu en permanence, d’où le tournage caméra à l’épaule. Même chose en matière de lumière, je devais éclairer à 360° pour pouvoir laisser le champ libre aux comédiens et les suivre en cas de besoin. Du coup, je ne pouvais pas avoir de pied au sol. Je faisais mes mises en place avec des sources en hauteur pour que cela ne se voie pas à l’image.

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« Je devais souvent éteindre des lampadaires pour donner une direction à la lumière » déclare le directeur photo

Vous êtes souvent dans des plans très sombres, avec très peu d’éclairage. C’est un peu un rêve de chef opérateur. Comment avez-vous géré cela ?

Ce qui m’intéressait dans « Les Meutes » c’est l’adéquation entre un cadrage très documentaire et une image très sombre, entièrement tourné de nuit. J’ai adoré jouer avec les codes du film noir avec ce film, les forts contrastes notamment. C’est très pictural, en fait, le noir. C’est comme partir d’une toile blanche en peinture. Cela laisse une place importante à l’éclairage. À partir du noir, on décide ce que l’on va révéler ou pas. Souvent, je ne laissais voir que le reflet d’un œil, quelques brillances sur la peau. Je n’éclairais rien d’autre. « Les Meutes » est une plongée dans les abysses. On est perdu, comme le père et son fils. Ils ne savent plus quoi faire pour s’en sortir. Le noir devient comme un personnage. Dans les rues, j’utilisais beaucoup la lumière environnante. Casablanca est une ville très éclairée au sodium. Je devais souvent éteindre des lampadaires pour donner une direction à la lumière et éviter que tout ne soit pas uniformément orangé. J’aimais cette teinte sodium saturée, et je cherchais souvent à l’accentuer pour donner l’impression que la ville était en feu. J’utilisais aussi des boules chinoises sur batterie, avec un blanc un peu cyan pour obtenir du contraste de couleur.

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Amine Berrada a voulu une image à forts contrastes, pour respecter les codes du film noir

Pourquoi avez-vous choisi de tourner « Les Meutes » avec l’ALEXA Mini ?

J’ai pas mal hésité entre différents modèles de caméra. J’ai fait des essais comparatifs, mais j’ai finalement opté pour l’ALEXA Mini. C’est une caméra que je connais bien. Je savais comment elle réagirait, notamment dans les basses lumières. Son encombrement réduit me plaisait aussi beaucoup. Surtout que je tournais le film entièrement à l’épaule et que j’avais beaucoup de scènes de voiture. Et puis, je cherchais une texture brute, rugueuse, mais sans forcément rajouter de grain car j’aimais bien le bruit naturel de cette caméra. Pour cela, j’ai utilisé l’ALEXA Mini entre 1600 et 2000 ISO. Cela nécessitait d’éclairer de façon très juste. On ne peut pas se tromper d’exposition sinon le bruit monte et l'image devient plate. En contrepartie, j’avais moins de dynamique, mais cela ne me dérangeait pas.

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J’ai aimé l’encombrement réduit de l’ALEXA Mini, surtout que je tournais le film entièrement à l’épaule et que j’avais beaucoup de scènes de voiture. Je cherchais une texture brute, rugueuse, mais sans forcément rajouter de grain car j’aimais bien le bruit naturel de cette caméra.

Amine Berrada

Directeur de la photographie

Le format Super 35 de l’ALEXA Mini m’allait aussi très bien. J’ai associé la caméra avec des optiques Summilux. J’adore cette combinaison, le volume qu’elle donne aux visages quand ils sortent du noir. C’est impressionnant, comme une sensation de sculpture. J’aime aussi beaucoup la brillance sur les visages qui ressortait bien avec cette association. J’ai tourné essentiellement avec des focales du 35mm au 65mm, avec une ouverture entre 1.4 et 2.8, notamment pour garder la rumeur lumineuse de la ville au loin. C’est vraiment un film de visages et de personnages. Souvent, nous n’arrivions pas à faire de plans larges, parce que l’on n’en voyait pas l’utilité.

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Le directeur photo a notamment choisi l’ALEXA Mini pour son côté compacte

« Banel et Adama » est le premier long-métrage de la réalisatrice sénégalaise Ramata-Toulaye Sy. Comment avez-vous abordé ce film solaire, totalement à l’opposé du très sombre « Les Meutes » ?

« Banel et Adama » est, en effet, extrêmement différent du film de Kamal Lazraq. C’est un conte qui se passe au nord-est du Sénégal, une région très isolée, aride et chaude. Tout l’enjeu esthétique ici était de créer la sensation de sécheresse à l’image, de la faire éprouver au spectateur. L’idée de la réalisatrice était de faire ressentir par les éléments naturels des choses intérieures aux personnages. Elle ne voulait pas d’un film africain naturaliste comme on l’attendrait. « Banel et Adama » débute par une exposition très pastel, très douce, comme dans un rêve éveillé. Ensuite, on passe à une image parfaitement cadrée, très graphique, pour traduire la manière très ordonnée de cette communauté villageoise traditionnelle. Il y a aussi ce rythme assez lent, qui définit bien la temporalité de cette région. On termine ensuite dans un chaos total avec la tempête de sable, et quelque chose de super déséquilibré, d’hyper surexposé, qui dénote avec le début du film. À l’image, c’était l’idée de la dysharmonie qui m’intéressait. Disons qu’il y a trois parties dans le film. L’idée était d’arriver progressivement à cette désaturation et cette surexposition au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire. Cette construction était un choix voulu et assumé.

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« Banel et Adama » a été tourné dans une région aride et chaude, afin de créer cette sensation de sécheresse

Comment avez-vous mis en place cette progression visuelle au niveau de l’image ?

Avant le tournage, j’ai préparé avec l’étalonneuse Magali Léonard des LUTS de désaturation et différents contrastes. J’ai aussi beaucoup travaillé avec la déco et les costumes pour construire cette désaturation de l’image. Parmi les références visuelles que j’ai utilisées, il y a « Jarhead » de Sam Mendes, pour la désaturation et la surexposition. Au début, Adama raconte une histoire à Banel. Pour illustrer ce conte, j’ai un peu tordu le procédé de Nuit Américaine en utilisant un filtre Day for Night, mais avec une image claire et en montrant un ciel lumineux. J’ai choisi les moments de la journée où le soleil créé des reflets brillants sur le fleuve. À l’arrivée, on ne sait pas si c’est le jour ou la nuit. C’est l’idée d’une histoire qui n’a pas de temporalité. Esthétiquement, je me suis inspiré des nuits représentées dans les estampes des artistes japonais Hiroshige et Kawase mais aussi des séquences de nuit dans le désert de « Mad Max : Fury Road » de George Miller. Elles sont hyper claires, avec une sorte de bleu électrique. J’aimais beaucoup ce côté un peu faux. Pour moi, c’est comme une vignette intemporelle.

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Le directeur photo s’est inspiré du film « Jarhead » de Sam Mendes pour le look de « Banel et Adama »

Sur « Banel et Adama » vous avez aussi choisi de tourner avec l’ALEXA Mini. Pourquoi ?

Il y a toujours un côté très personnel dans le choix d’une caméra pour un directeur de la photographie. Depuis La Fémis, j’ai souvent utilisé l’ALEXA Mini. Je sais parfaitement comment son capteur réagit, comment elle fonctionne dans les basses lumières, les hautes lumières, en termes de contraste, d’ISO. J’arrive à la tordre comme je veux, à obtenir l’image que j’ai en tête. « Les Meutes » et « Banel et Adama » sont des films à l’opposé esthétiquement, et pourtant, c’est la même caméra dans les deux cas. Et puis, je savais que nous allions tourner dans une région très isolée et dans des conditions extrêmes, avec du sable, des températures jusqu’à 49 degrés. Par le passé, j’ai eu des problèmes de fiabilité avec d’autres caméras. Avec l’ALEXA, je me sens en confiance de ce côté-là.

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L’équipe du film « Banel et Adama » au nord du Sénégal

Image d'ouverture : Louis Roux